XVIIème Session – Partie 3 – Conclusion sur les réseaux sociaux, leurs risques et leurs impacts sur la démocratie

PARTIE 3 : LES DÉFIS TECHNOLOGIQUES, DIGITAUX ET INDUSTRIELS POUR LA FRANCE DU 21ÈME SIÈCLE

CONCLUSION SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX, LEURS RISQUES ET LEURS IMPACTS SUR LA DÉMOCRATIE 

L’affaire semble entendue. Les réseaux sociaux seraient assez largement responsables de nombre des maux auxquels font face nos démocraties modernes. S’il a pu exister un imaginaire positif autour du renouveau démocratique permis par internet, il semble avoir disparu.
Deux grands récits sont proposés sur le pouvoir de la révolution du numérique sur la démocratie.


Le premier est celui de l’abandon progressif de « l’espace public », soumis à la pression de la vitesse, de la fin de l’attention et de la fragmentation en micro-communautés. Les réseaux posent un problème de liberté d’expression illimitée sans responsabilité. Une radicalité se développe, marquée par une intolérance virulente au point de vue de l’autre. Les réseaux sociaux ont contribué à créer de la méfiance des citoyens vis-à-vis des acteurs du pouvoir et un relativisme dangereux. En quoi est-ce nouveau? C’est la facilité déconcertante à détourner des images, des messages. Les réseaux sociaux sont devenus des outils de persuasion très efficaces, qui marquent la mémoire collective avec des effets de persuasion très rapides sans possibilité d’analyse. En cela, ils ont émancipé l’opinion en lui faisant croire qu’elle pouvait gouverner elle-même. Or Pierre-Simon Ballanche dans son Essai sur les institutions sociales dans leur rapport avec les idées nouvelles publié en 1818 avait déjà prévenu: « Autrefois il suffisait de gouverner avec l’opinion, à présent il faut gouverner par elle, sous peine de la laisser gouverner elle-même, ce qui constitueraient une véritable anarchie ». L’envahissement du Capitole est-il le premier délit d’une opinion portée par les réseaux sociaux qui se serait mise à vouloir gouverner?
Mais les réseaux sociaux sont-ils pour autant les seuls responsables? Selon l’essayiste Eugénie Bastié, « l’échec des grands médias à déconstruire efficacement le discours conspirationniste à grand coup de « fact-checking », doit nous interroger sur notre impuissance à contrer ce relativisme » (38). Pour elle, ce relativisme que la société a contribué à produire est présent dans toutes les strates de la société. Avec quelles armes convaincre ceux qui voient de la fraude partout dans l’élection de Joe Biden, lorsqu’on a passé soi-même quatre ans à soupçonner la main russe dans l’élection de Donald Trump? Comment prétendre combattre le relativisme, quand on a comme M. Delfraissy alors président du Comité consultatif d’éthique, déclaré : « Je ne sais pas ce que sont le bien et le mal (39) ? » Le complotisme, la tentation de trouver des boucs émissaires, le refus de la contingence, ont toujours existé. Mais ils prennent aujourd’hui une nouvelle dimension: décuplés par la puissance des réseaux sociaux, accentués par une polarisation politique qui transforme l’adversaire en ennemi, ils sont d’autant plus difficiles à combattre que les émetteurs qui se présentent en « gardiens de la vérité » ont perdu la confiance des citoyens. Pour répondre à cette crise profonde, il conviendrait de s’interroger d’abord sur l’origine de ce relativisme généralisé qui trouve sa source dans la disparition des sociétés holistiques et d’une référence morale unique ?

Le second récit de mise en cause est celui de la surveillance. Ce récit souligne la fausse promesse du numérique « émancipateur » qui se voit retourné, par l’État, ou par des grands acteurs privés – quand ce n’est pas les deux – dans un esprit de sujétion ou d’asservissement. Les élus écoutent de plus en plus leurs électeurs et interagissent directement avec eux par le biais des réseaux sociaux. Comme ces plateformes servent de plus en plus de médiateur pour la compréhension du public des enjeux nationaux et des événements mondiaux, des entreprises comme Twitter et Facebook définissent non seulement la réalité elles-mêmes, mais déterminent qui est autorisé à parler à son gouvernement et ce qu’il est autorisé à dire par simple changement algorithmique. Qui plus est, les réseaux sociaux agissent « hors sol » avec un fonctionnement par cloud et non territorialisé. Or ces derniers ne sont-ils pas, au même titre que tout autre média, responsables de ce qu’ils publient ? Peuvent-ils ainsi être condamnés pour cela ? Pourquoi dans ce sens ne pas étendre une legislation qui existe et les forcerait ainsi à respecter les lois de chaque pays?
Ces deux récits sur le pouvoir de la révolution du numérique sur la démocratie touchent juste dans leur mise en garde mais peinent à rendre compte de la profondeur de la complexité de la question du rapport de nos démocraties à la révolution numérique et n’apportent pas de solution.
Si une législation beaucoup plus claire vis-à-vis des plateformes, notamment en ce qui concerne leur manque de transparence vis-à-vis de leurs utilisateurs, la territorialité de leur responsabilité, l’exploitation commerciale des données ou le problème des algorithmes, se justifie, les nouvelles technologies sont un outil extraordinaire, porteuses de potentialités multiples. Ne devrions-nous pas abandonner l’idée d’un outil qui définirait son propre mode d’emploi? Ne faudrait-il pas plutôt essayer de réparer l’émetteur, c’est-à-dire restaurer la confiance, et rétablir l’autorité du contenu, sapé par des décennies de déconstruction?
L’élargissement du débat démocratique à la société entière et à la fois un progrès de la démocratie. Face à une société qui se réorganise, le défi est de réinventer les institutions. Internet est ainsi devenu un hémicycle virtuel et permanent où toutes les contraintes matérielles qui ont rendu nécessaires le système de la représentation tombent les unes après les autres : la distance, l’éparpillement, le temps disponible. Il ne reste plus que les raisons politiques et morales. Le grand débat national a été une tentative de « réinvention », la convention citoyenne une autre. Sans grand succès pour l’instant mais l’heure est à la recherche, à l’élaboration de nouvelles institutions en flux, en dialogue, en écoute. La France pourrait-elle monter la voie ? De nouvelles formes démocratiques sont à construire et les premiers à réussir cette transformation pourront influencer le reste du monde. A la France de prendre des risques, d’oser inventer de nouveaux équilibres et de ne pas rester sur des schémas anciens, hérités. A la France de revenir au cœur de l’Histoire par le numérique, ou plutôt l’orientation des conversations numériques pour se saisir de l’espace public avec créativité.